Mourad El Kallal: « le danger, c’est qu’on demande aux hôtels -20 et -30% sur les tarifs cet été »
28 avril 2020Pendant plus de 3 décennies, il a compté parmi les tour-opérateurs tunisiens les plus dynamiques au départ du marché français avec Gamma Travel. Mourad El Kallal, promoteur également depuis une dizaine d’années de l’hôtel Les Dunes à Djerba, a traversé bien des crises au cours de sa carrière. Il avoue cependant être dépité par celle du coronavirus.
Enième crise du tourisme :
« Nous avons vécu d’innombrables crises qui ont affecté notre secteur, notamment la guerre du Golfe en 1991, le 11 Septembre 2001, La Ghriba en 2002, la Révolution en 2011, les attentats en 2015.
S’il y a un fait indéniable avec la crise actuelle, c’est que nous sommes dans le flou, dans le vague. Personne n’a jamais vécu pareille situation.
Il y a quelques années, il y avait plusieurs dizaines de tour-opérateurs tunisiens installés à l’étranger et qui étaient les premiers à s’engager en faveur de la Tunisie pour aider à la relance. Que reste-t-il aujourd’hui de ces T.O ? Quand je pense qu’en France, nous étions au moins une dizaine en 1991 : Tunisie Contact (Hosni Jemmali), Republic Tour (feu Lassaad Ennaifer) Bleu Ciel (Hassen Hamzaoui), Reshot (Abdelmagid Ben Mahmoud)… ».
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Situation du marché français :
« Le constat est que le consommateur français est craintif actuellement, surtout qu’on évoque le risque d’une 2e vague qui est de nature à l’inquiéter.
A supposer qu’on ouvre la destination en juin ou juillet, ce sera uniquement les inconditionnels de la Tunisie qui viendront. Mais s’il y a des obligations de confinement au retour, cela pose problème.
En 2011, pendant la période de la Révolution, les touristes qui ne souhaitaient pas être rapatriés pouvaient rester mais ils devaient d’abord signer un document reconnaissant qu’ils assumaient leur responsabilité.
Avec le coronavirus, ce genre de procédure signifierait qu’il y a un risque sanitaire réel et je ne pense pas que les touristes prendront ce risque. La question de la distanciation d’un mètre est aberrante pour moi. Pourquoi l’imposer sur la plage quand on est en plein-air ?
Je pense qu’en France, s’ils décident de limiter les voyages cet été à la zone Schengen, il est possible que la Tunisie, le Maroc et l’Egypte y soient intégrés. D’ailleurs, l’Allemagne l’a laissé entendre ces derniers jours. Et si un pays prend cette décision, tous les autres suivront. Toute la question est de savoir quand ?
L’autre problème qui va se poser également, c’est aussi les Tunisiens résident en France qui vont vouloir rentrer cet été.
A Paris actuellement, c’est un aléa que de ne pas avoir ni d’ambassadeur, ni de consul. Il y a certaines démarches pour ouvrir certaines portes que seuls les politiques peuvent effectuer. Mais avec la fermeture du trafic aérien, même notre ministre du Tourisme ne peut pas venir. Beaucoup de choses n’ont pas été faites bien que nous ayons les atouts pour secouer le marché, mais les conditions actuellement nous en empêchent ».
A Paris actuellement, c’est un aléa que de ne pas avoir ni d’ambassadeur, ni de consul.
Problèmes d’aérien :
« Ma crainte reste l’absence de visibilité dans l’aérien. Il suffit qu’une nouvelle norme européenne par exemple décrète la suppression du siège central dans les avions et le voyage redeviendra l’apanage de l’élite, comme dans les années 70, avant la démocratisation du voyage.
Au départ de la France, les vols hors Europe sont soumis à une taxe de 40 euros de plus que sur les vols intra-européens. La différence pèse sur le budget d’un voyageur qui vient une semaine en Tunisie. C’est un montant qu’il faudrait essayer de supprimer et personne ne s’est occupé en haut lieu de traiter ce problème. La Tunisie fait partie de la zone IATA Europe, pourquoi cette différence ? Ce sont les politiciens qui sont appelés à régler ce genre de problème et non pas nous, les commerçants que nous sommes finalement.
Sur le marché français, il y a des opportunités à prendre et pour cela, il faudrait développer des villes de départ sur des aéroports secondaires qui ne sont pas reliés à la Tunisie ; par exemple Djerba qui n’a aucune liaison avec Bordeaux, Toulouse ou Lille alors qu’il y avait des vols réguliers auparavant. Actuellement, ce sont juste des vols consolidés. Mulhouse est une ville que nous avons « oubliée ».
Relations avec les tour-opérateurs :
« Chaque fois qu’il y a une catastrophe, les tour-opérateurs arrivent derrière. Ils n’ont pas payé d’early-booking aux hôtels cette année. Cependant, le danger, c’est qu’ils nous demandent pour l’été des actions de « turbo early-booking », avec un risque de baisse des prix de 20 à 30% sur des périodes de 3 semaines ou un mois en plein été et sans paiement d’avance !
En 2021, le client qui a ses habitudes avec le All In, habitué à être entassé, ne viendra pas à mon avis. Et je rappelle au passage que le tout-inclus, ce n’est pas la Tunisie qui l’a inventé, mais c’est une demande de la part des tour-opérateurs sur le balnéaire (il n’y a donc pas lieu de nous comparer à Marrakech).
Mais la Tunisie restera le « beach-club » des Français, avec l’atout de la francophonie que nous avons aussi ».
Perspectives à court et moyens-termes :
« Le marché des vacances va reprendre en Tunisie comme ailleurs. Le tourisme reprendra à l’avenir, mais pas cette année. Nos plages et notre sable sont parmi les meilleurs en Méditerranée. Nous avons un rapport qualité-prix très bon avec des prix en juillet et août qui frôlent ceux de l’Espagne et de la Grèce (contrairement à ce que l’on pense). Mais le tout est de savoir dans quelles conditions aura lieu cette reprise ?
Il faudra être très très prudent cet été, tous les hôtels ne devront pas ouvrir. Cette crise est aussi une occasion de repartir sur de bonnes bases (si les hôteliers trouvent un compromis entre eux). Il y a une mise à niveau qui doit être faite.
Personnellement à Djerba, je ne sais pas du tout si je vais ouvrir ou pas, d’autant que l’hôtel Les Dunes est mis actuellement à la disposition du ministère de la Santé (une partie de l’hôtel plus précisément). En attendant, je travaille sur 2 nouveaux brands que j’annoncerai en temps voulu.
Quant aux mesures décidées pour soutenir les entreprises en crise, je déplore le fait que les hôtels classés n’auront pas droit aux crédits parce que la finalité, ce n’est pas de faire des rénovations ou de payer d’anciennes dettes avec ces fonds. Notre objectif est de maintenir les emplois ».
Lire aussi les autres intervenants au Think-Tank DestinationTunisie.info #Covid-19
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Ridha Habazi, directeur général de l’hôtel Golden Yasmine Taj Sultan
Nadaa Ghozzi, directrice générale de l’agence de voyage Select Travel
Wissem Ben Ameur, directeur général de l’agence Liberta Voyages
Anis Suissi, directeur Commercial et Marketing dans l’hôtellerie à Hammamet
Nebil Sinaoui, propriétaire de Maison Didine, Signature Traiteur et Le Gourmet
Tarek Lassadi, directeur général de l’agence de voyage Traveltodo
Jabeur Ben Attouch, président de la FTAV
Anis Sehili, directeur commercial central groupe El Mouradi
Karim Kamoun, agent de voyages, hôtelier, tour-opérateur
Dr Samy Allagui, consultant en services de santé
Mehdi Hachani, président de la Fédération tunisienne des guides agréés de tourisme
Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur
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