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Au bord du gouffre financier, à quel prix Tunisair va-t-elle pouvoir se relever ?

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Le gouvernement n’hésite plus à qualifier de «catastrophique» la situation qui prévaut au sein du transporteur aérien public et à pointer «ses méthodes des années 70». Les syndicats l’entendront-ils cette fois de cette oreille ?

Tunisair est-elle frappée par le mauvais œil ? Comme si la crise du coronavirus qu’elle traverse actuellement ne suffisait pas, le top management de la compagnie est en plein remous, avec un PDG (Elyès Mnakbi) qui vient de se rétablir d’un léger souci de santé, un secrétaire général (Jamel Chrigui) qui a fini sa mission, un DGA technico-opérationnel (Chiheb Ben Ahmed) affecté à une autre entreprise (PDG de la SNCFT) et un DGA commercial (Ali Miaoui) parti en début d’année à Francfort (pour assurer la représentation de la compagnie pour l’Allemagne et la Scandinavie).

Déjà en facheuse posture ces dernières années à cause de ses problèmes structurels, le transporteur aérien public a vu son état s’aggraver à cause des conséquences de la crise actuelle, à tel point que le ministre du Transport lui-même a admis ces derniers jours la gravité des choses et clairement reconnu une situation « catastrophique ».

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Ses avions sont cloués au sol pour cause de cessation du trafic aérien entre la Tunisie et ses principales destinations dans le sillage de la crise sanitaire et de la fermeture de la plupart des frontières. Seuls des vols de rapatriement des Tunisiens bloqués à l’étranger continuent d’être assurés tandis que ses A.330 effectuent quelques liaisons vers la Chine en mode fret. Un trafic loin de pouvoir générer les recettes nécessaires à la survie de cette entreprise qui emploie plus de 7500 salariés (filiales y compris).

Plus de langue de bois

Le ministre du Transport et de la Logistique, Anouar Maârouf, semble avoir rompu avec le traditionnel discours langue de bois qui, jusqu’à présent, caractérisait le jargon politique dès lors que le mot « Tunisair » était prononcé. Car derrière la compagnie, se cache un syndicat puissant, trop puissant même. A tel point que depuis 2011, nul n’ose l’affronter. A plusieurs reprises, celui-ci a fait part de son refus radical d’ouverture du capital de la compagnie à un partenaire stratégique, de l’octroi d’une 6e liberté à une compagnie tierce, sans parler de son opposition farouche à l’open-sky.

Lors d’une interview récente à une chaîne radio, le ministre a clairement indiqué n’avoir pas de visibilité même pour le mois de juin sur le plan trésorerie. Anouar Maârouf n’y est pas allé avec le dos de la cuillère sur d’autres thèmes, au point où certains y ont vu une attaque en règle contre la compagnie.

Il a en effet traité Tunisair de « gâtée » à deux reprises. Il a estimé que le nombre de représentations et d’employés à l’étranger n’avait plus lieu d’être « car 99% d’entre elles ne couvraient pas leurs frais » (les salaires des détachés ont été divisés par deux au passage) et surtout, a évoqué, sur la base d’exemples, la nécessité pour n’importe quelle compagnie aérienne de devoir réduire drastiquement son personnel, y compris ses pilotes.

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Le retour du trafic aux niveaux de 2019 ne pourra être envisagé qu’à compter de 2023.

Nouvelles règles pour le transport aérien

Le contexte futur du transport aérien ne devrait pas arranger les choses, particulièrement s’il s’avère que de nouvelles règles apparaîtraient, comme la suppression du siège du milieu sur les mono-couloirs ou la limitation du coefficient de remplissage des appareils à moitié ou aux deux tiers de la capacité des cabines. Un tel taux serait tout simplement inapplicable car ne pouvant couvrir ne serait-ce que les coûts fixes de la compagnie. Ceci outre les investissements pouvant découler des nouveaux protocoles sanitaires qui pourraient être exigés à l’avenir. A moins que les prix des billets ne soient doublés, voire même triplés pour les vols moyens-courriers.

Selon les dernières données, la reprise du trafic aérien au départ de la Tunisie -qui reste tributaire de l’ouverture notamment des frontières dans les autres pays- pourrait intervenir à compter de la fin du mois de juin ou du début de juillet, mais limité à 30% du trafic. La reprise des flux habituels n’est donc pas pour demain. Le ministre du Transport l’a d’ailleurs évoqué, indiquant que le retour aux niveaux de 2019 ne pourra être envisagé qu’à compter de 2023.

Solutions à court, moyen et long-termes

Selon une étude commandée par le ministère du Transport et de la Logistique, Tunisair aurait besoin d’urgence de 100 MD dans le cadre d’un plan de survie pour notamment assurer ses charges mensuelles incompressibles, ce qui lui a été refusé. Pour de nombreux observateurs, ce montant est anormalement bas et ne suffira certainement pas à résoudre tous les problèmes et ne permettra pas au transporteur d’aller très loin.

Mais quand bien même cette somme paraît dérisoire comparée à la taille du problème, l’Etat tunisien n’aura de toute évidence pas les moyens d’y subvenir. L’équipe chargée d’élaborer les scénarios possibles travaillent actuellement à un énième plan de relance et devrait rendre son rapport au ministre incessamment.

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Tunisair aurait besoin d’urgence de 100 MD dans le cadre d’un plan de survie.

Concrètement, les experts s’accordent à dire que Tunisair est appelée à revoir ses programmes dans leur ensemble et ne pas hésiter à supprimer ses lignes non rentables. Car la crise actuelle du Covid-19 ne sera pas sans conséquences et aura forcément des effets induits. On voit mal comment les avions déjà bloqués faute de pièces de rechange pourront reprendre du service. Mais si tel était le cas les problèmes de retards déjà vécus ne feraient que continuer.

Autre question qui se pose, celle des appareils qui ont été commandés en leasing et attendus en 2021. Faudra-t-il maintenir la commande ou la revoir à la baisse ? Garder de vieux avions pèsera lourd au niveau charges d’entretien alors que de nouveaux avions permettront de réduire l’âge moyen des appareils.

Le redressement de Tunisair n’est de toute évidence pas limité à la seule compagnie aérienne mais à tout le groupe et à toutes les filiales supposées soutenir leur maison-mère. Or tout le monde sait qu’à deux exceptions près (Amadeus Tunisie et ATCT), toutes les autres sont malheureusement déficitaires. D’où certainement le besoin d’élaborer un plan de relance spécifique à chaque entreprise et qu’il soit confié sans complexes à un cabinet de consulting spécialisé ou à un expert international qui osera dire tout haut ce que d’autres craindront d’avouer tout bas (la RAM en 2012 a fait appel à Seabury & Mackinsey et Tunisair au début des années 2000 avait sollicité Lufthansa Consulting).

Selon les experts, pour assurer la viabilité des filiales, celles-ci doivent élargir leur périmètre commercial au-delà de leur seul marché acquis, celui de Tunisair. Cela est valable principalement pour Tunisair Technics et, dans une moindre mesure, Tunisie Catering. Une thèse qui, cependant, pourrait être contre-dite par le cas Tunisair Handling en quasi-monopole sur le marché mais qui se permet « le luxe » d’afficher des résultats financiers négatifs.

Le digital à la rescousse

Tunisair, en tant que compagnie aérienne, est de toute évidence en retard par rapport à ses concurrents. Et pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent. Sauf que les managers demeurent les mains liées car sans autonomie, ils sont obligés d’en référer à leur ministère de tutelle pour toute action aussi futile soit-elle.

Pour avoir été ministre des Technologies avant d’arriver au Transport, Anouar Maârouf estime que les méthodes de travail de la compagnie se sont arrêtées aux années 70. Il estime par conséquent nécessaire de revoir les process en vigueur, comme notamment de consolider le site web de la compagnie et créer un « plateau pour les commerciaux » qui travailleraient à distance.

Le ministre serait donc bien inspiré justement de libérer la compagnie du joug de l’autorité de tutelle. L’avantage avec Anouar Maârouf, c’est qu’il a vécu l’expérience d’une autre entreprise publique, en l’occurrence Tunisie Telecom, totalement indépendante dans ses modes opératoires. Si le même modèle était appliqué avec Tunisair, il est fort à parier que la compagnie pourrait passer à autre chose, à commencer par développer son e-commerce et surtout son merchandising.

Pourquoi son site, pourtant premier site marchand en Tunisie en termes de chiffre d’affaires réalisé, n’offre-il pas (ou si peu) de services annexes (assurances voyages, hébergement, location de voitures) ?

Pour une compagnie en manque de rentabilité, dont les avions ne volent pas assez, des solutions de pricing dynamique doivent être adoptées pour garantir réactivité et surtout proactivité, ou qu’un vrai CRM digne de ce nom soit mis en place pour accompagner l’expérience-passager dans toutes les phases de la vente.

Reste à savoir si les formations adéquates sont bien dispensées au personnel et qu’elles correspondent aux besoins réels du marché ? L’état du centre de la formation de la compagnie à la Charguia n’augure malheureusement rien de bon sur ce plan.

Hédi HAMDI

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