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Résidentiel touristique : ce qui peut changer pour les hôtels et où ça va coincer

Résidentiel touristique : ce qui peut changer pour les hôtels et où ça va coincer

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C’est un projet qui tient particulièrement à cœur à de nombreux hôteliers qui espèrent à travers lui renflouer leurs caisses et rembourser leurs dettes auprès des banques. Cependant, tout n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît dans ce dossier très technique.

Utiliser une partie inexploitée du patrimoine foncier des hôtels pour la transformer en résidences de tourisme (villas, appartements, bungalows ou lofts) qui seront vendues à des particuliers qui auront la possibilité de bénéficier de tous les services de l’hôtel. C’est en substance le projet qui a officiellement été lancé par le ministère du Tourisme en mars 2016 à travers la promulgation d’un décret gouvernemental (N°335). Cependant et 15 mois plus tard, aucune avancée concrète dans le dossier n’a été enregistrée. Il y a eu certes des échanges entre hôteliers, l’Agence foncière touristique (chef de file du projet), les banquiers et diverses autres parties intervenantes, mais les pierres d’achoppement sont encore trop nombreuses au point qu’à ce jour, aucun chantier n’a pu être engagé.

En cause, les difficultés inhérentes à la mise en application de ce décret qui comporte encore certaines zones d’ombre. Face à cette situation, l’Association pour la promotion du tourisme tunisien a jugé opportun de mettre le sujet sur la table pour en débattre avec les parties concernées lors d’une rencontre qui s’est déroulée à Hammamet. Hichem Hajri, président de cette association, a prévenu que l’application de ce décret va être particulièrement difficile dans la mesure où il nécessite d’être amélioré et éclairci sur certains points fondamentaux.

Hichem Hajri-Khaled-Fakhfakh-Nabil Bziouech-Ahmed-Karam-Moez-Gueddas

De g. à dr, Hichem Hajri (debout), Khaled Fakhfakh, Nabil Bziouech, Ahmed Karam et Moez Gueddas.

Une composante immobilière dans les hôtels

Ce projet implique en réalité trois ministères: ceux du Tourisme, de l’Intérieur et de l’Equipement. Il s’inscrit dans une démarche orientée vers la diversification des modes d’hébergement touristique à l’image de ce qui se passe dans d’autres pays, a rappelé Nabil Bziouech, chef de Cabinet du ministère du Tourisme et de l’Artisanat, lors de la rencontre. « Il va permettre également de cibler une clientèle avec un pouvoir d’achat élevé et améliorer le taux d’occupation, même si la décision ne sera pas suffisante pour sauver le tourisme » a-t-il admis.

L’idée n’est pas nouvelle et dans plusieurs pays, l’expérience est parfaitement concluante. Moez Gueddas, architecte et hôtelier, indique à ce propos que ce sont les grandes chaînes américaines qui ont été pionnières en la matière. « Il n’y a pas une chaîne internationale qui n’ait pas sa composante résidentielle » a-t-il dit pour souligner la pertinence de la mise en application de ce concept en Tunisie.

Car le résidentiel touristique, ce ne sont pas uniquement des gens qui séjournent en continu ou qui en font leur résidence secondaire, ce sont aussi des entreprises qui pourront y être domiciliées par exemple pour profiter des installations de l’hôtel comme les salles de réunion, les restaurants et même les chambres pour loger leurs invités ou leurs hauts cadres. Sans oublier bien-sûr le côté sécurité assuré par l’hôtel ou encore les services annexes tels que les centres de spas et de fitness, la piscine, la plage, etc. Des services qui seront bien entendu payants car il s’agit d’opérer une différenciation claire entre l’immobilier touristique et l’immobilier classique. Moez Gueddas en conclut que « la vente de l’immobilier apportera une solution quasi-immédiate à l’endettement des hôteliers ».

Là où les choses se compliquent

« Le résidentiel touristique va permettre aux hôtels de reprendre espoir » considère de son côté le président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, Khaled Fakhfakh. « Certains hôteliers sont en mode succès, ils n’en auront pas besoin. Les hôtels en difficulté et ceux en troisième ligne par exemple ont besoin de résidentiel, ce n’est pas un cadeau, c’est une bouée de sauvetage » a encore estimé le président du syndicat patronal.

Les choses ne sont pourtant pas aussi simples. Car comment en effet les hôteliers pourront-ils vendre de l’immobilier touristique alors que les terrains sur lesquels sont bâtis leurs unités font en général l’objet d’hypothèque de la part des banques ? En conséquence, comment les acquéreurs d’appartements ou de villas pourront-ils obtenir un titre de propriété qui leur revient de droit ? Ahmed Karam, président de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers, invité par l’Association de développement touristique, l’admet : « une société dont les créances sont classées ne peut pas prétendre au crédit ». Cependant, son idée pour contourner la problématique consiste à aménager un système de classement spécifique qui permettrait d’éviter les règles de classement en vigueur. « Je propose un changement radical par rapport à la réglementation et il faudra user de notre lobby auprès de la BCT pour faire accepter cette idée ».

Ahmed Karam évoque également une autre problématique face à laquelle les hôteliers vont être confrontés. Dans le cas d’octroi de nouveaux crédits avec une banque pour développer de l’immobilier touristique, comment sera gérée la question du passif de l’endettement ? « Si le crédit est accordé par la même banque qui possède l’hypothèque de l’hôtel, il n’y aura pas de problème ». Mais si c’est une autre banque qui accorde le crédit alors qu’elle ne possède pas l’hypothèque, il s’agira de trouver un accord tripartite qui fixerait la répartition des recettes entre les 3 parties.

« Il faut trouver un juste équilibre entre les hôteliers et les établissements financiers » souligne Hichem Hajri. La situation actuelle n’est profitable à personne ». Khaled Fakhfakh suggère que les banques donnent des mains levées partielles pour permettre aux hôteliers de commencer leur processus de vente. « Nous devons mettre le turbo car le temps presse et il faut faire vite pour ramener de l’argent » a-t-il encore recommandé.

Une composante résidentielle dans les îlots hôteliers

C’est ainsi que l’Agence foncière touristique décrit le projet. Son directeur commercial, Imed Hlaoui, explique que l’insertion de cette composante résidentielle nécessite de réviser les plans d’aménagement. La vocation purement hôtelière du site devient mixte : hôtelière à 70% et résidentielle à 30%. C’est en tout cas ce qui a été fixé par le décret. Par exemple, sur un îlot de 600 lits, la partie immobilière ne devra pas dépasser 180 lits. Imed Hlaoui pointe cependant du doigt les problèmes rencontrés : des hôtels ont construit moins de la capacité qui leur avait été accordée et inversement. Dans ce cas, le décret a prévu d’appliquer le CUF (coefficient d’utilisation foncière).

En tout état de cause, il n’est pas inutile de souligner qu’à la base, le ministère du Tourisme avait suggéré dans sa première proposition une proportion de 40% pour l’immobilier touristique. Les ministères de l’Equipement et de l’Intérieur avaient en retour refusé ce taux de crainte de voir le marché de l’immobilier classique inondé par du touristique, pour éviter le bétonnage à outrance et également le recalibrage énorme des infrastructures existantes. Le directeur commercial de l’AFT explique que certaines zones ont engagé des révisions de leurs plans d’aménagement mais d’autres pas. « La tendance et les projections, ce sera d’augmenter le nombre de lits à l’hectare en passant de 120 lits actuellement à 150 » a-t-il annoncé.

Pourquoi reverser une plus-value ?

La position favorable des banquiers dans le dossier de l’immobilier touristique s’explique par leur volonté de récupérer les créances qui leur sont dues. Sauf qu’un article figurant dans le décret a laissé les concernés pantois, à savoir que les hôteliers devront reverser une plus-value de leurs ventes à l’Etat ! « Pourtant, l’Etat va récolter de la TVA et des impôts sur cette activité économique » s’insurge Ahmed Karam. Le président de la FTH considère pour sa part que « la plus-value n’est pas nette et que de surcroît, dans le décret, la version française diffère de la version arabe ». Khaled Fakhfakh suggère simplement « d’oublier la plus-value et de payer une cotisation en contre-partie ».

Sur ce point, le chef de cabinet du ministère du Tourisme s’empresse de préciser que la plus-value exigée est prévue pour être reversée à l’Agence foncière touristique qui est financièrement autonome et a besoin de ressources pour assurer son fonctionnement. « L’AFT ne veut pas gagner de l’argent mais elle est là pour trouver des solutions » souligne Nabil Bziouech.

Des soucis qui s’accumulent

Malgré la bonne volonté des banquiers qui semblent disposés à financer les nouveaux projets, malgré le soutien de l’administration du Tourisme, les hôteliers n’en demeurent pas moins inquiets des autres problèmes qu’ils auront à traiter dans la réalité. Habib Boujbel s’interroge par exemple sur ces fameuses autorisations des gouverneurs nécessaires avant toute acquisition d’un bien immobilier par un non-résident étranger. Bien qu’officiellement suspendu, ce décret qui remonte à 1957 continue cependant d’être appliqué avec des délais extrêmement longs.

Autre crainte évoquée par Mohamed Ben Ezzeddine, celle des permis de construire octroyés par les municipalités qui pourraient avoir des réserves sur la question et qui pourraient bloquer le processus et en particulier dans cette période de flou qui caractérise le secteur municipal actuellement.

Hassen Kenani soulève pour sa part une autre problématique : celle du nombre d’habitants autorisés à loger dans une résidence touristique, les disponibilités en parking et même la liberté de festoyer dans ces lieux si leurs propriétaires le désirent.

Les cahiers de charges qui seront définis devront tirer au clair tous ces détails pour éviter toute désillusion des futurs acquéreurs. Et si toutes les parties sont tenues de trouver un terrain d’entente pour faire aboutir le projet, la bureaucratie telle qu’on la connaît risque bien de faire traîner les choses pour un certain moment encore.

Hédi HAMDI

 

 

 

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