La FTAV plonge les députés dans le bain à remous du tourisme
1 juillet 2015A demi-mots, il l’a avoué : « nous n’imaginions pas tous les problèmes du secteur touristique ». Déclaration du député d’Ennahdha Mohamed Frikha lors d’une rencontre tenue lundi soir à Sousse à l’initiative de la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV). Au menu, la situation des opérateurs touristiques suite à l’attentat du 26 juin 2015.
La FTAV avait en effet convié pour la circonstance plusieurs députés toutes étiquettes politiques confondues (9 d’entre-eux avaient répondu présents d’Ennahdha, de Nidaa et du Front populaire) afin de les sensibiliser sur la vraie situation du tourisme. Et en la matière, ils ont été servis. Les hôteliers et les représentants des compagnies aériennes ont listé pour eux le pourcentage d’annulations enregistrées à peine 4 jours après le drame. Rafik Garrachi, Commercial chez RIU en Tunisie (l’hôtel visé par l’attentat est géré par RIU) a indiqué par exemple avoir enregistré une perte de 15% des ventes en 3 jours et s’attend à une baisse de 33% d’ici la fin de la semaine actuelle. Garrachi a estimé que la programmation aérienne se décidera chez les T.O d’ici la fin de la semaine et permettra de mieux évaluer les baisses des ventes qui devront être autour de 40 à 50%, soulignant qu’il s’agissait d’estimations subjectives.
Quant à Kamel Zahra, représentant du T.O Primatours, spécialisé sur l’Europe de l’Est, il a considéré pour sa part que la situation était nettement plus grave puisque son groupe a enregistré des annulations jusqu’au mois de septembre. « Plusieurs T.O ont annulé leur programmation sur toute la saison » a-t-il annoncé dépité, citant des voyagistes hongrois et polonais notamment, exception faite de Sun& Fun.
Marché allemand en mauvaise posture
Le marché allemand n’est pas épargné par la vague d’annulations. Foued Lejmi, représentant de Der Touristik, a déclaré que son groupe a dû rembourser 2 millions d’euros en frais d’annulations pour ses clients sur la Tunisie. Durant le week-end ayant suivi l’attentat, ce sont un cinquième des réservations qui ont été annulées, citant en exemple une arrivée prévue pour le 30 juin qui devait comprendre 1000 personnes et qui ne comptera finalement plus que 190 touristes. « Je conseille à beaucoup d’hôteliers de fermer » a-t-il lancé à l’assistance.
Autre inquiétude, celle du marché algérien. Hichem Borgi, directeur Commercial de la chaîne Daphne Hotels, a fait part de sa crainte d’enregistrer des annulations sur un marché algérien « déjà traumatisé par le terrorisme » a-t-il rappelé.
De son côté, Makram Halloul, directeur commercial de l’hôtel Riadh Palms à Sousse, a rafraîchi la mémoire de tous les présents à la rencontre en rappelant que c’était le 3e attentat qui visait le tourisme, le premier, survenu le 30 octobre 2014 sur la plage de l’hôtel Riadh Palms justement, n’avait pas fait de victimes, sauf le terroriste qui s’était fait exploser. Halloul a considéré qu’il y avait finalement trois types de réactions des T.O après l’attentat de Sousse : annulation totale de la programmation de la Tunisie, rapatriement de clients avec arrêt temporaire de la programmation et, en plus des annulations, des no shows, autrement dit des touristes qui étaient attendus et qui ne sont finalement pas venus. Plus grave encore selon le même hôtelier, des annulations ont déjà été enregistrées pour le mois de décembre prochain.
A Monastir, situation peu brillante
Sur Monastir, les répercussions sont également importantes. Akram Chérif, directeur général de l’hôtel Rosa Beach, a assimilé l’attentat à « une cartouche qui abrégé les souffrances du tourisme tunisien ». Il a prévenu que la crise qui s’annonçait dans le secteur était les prémices d’une explosion sociale. A l’échelle internationale, Chérif a également précisé que c’était l’image de la destination qui avait été atteinte et qu’il sera difficile de s’en relever car « nous sommes les champions du monde de la non-communication » s’est-il insurgé, blâmant dans ce sens les dirigeants de l’Office du Tourisme.
Slim Dimassi, propriétaire de l’hôtel Helya Beach à Monastir, a souligné que « le point noir réside dans les plages qui ne peuvent pas être contrôlées ». En sa qualité de membre de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, Dimassi a déclaré que le 12 mai dernier, les autorités avaient été prévenues du risque que cela pouvait présenter.
Mohamed Ali Miled, directeur général de la chaîne Houda Hotels, qui possède deux hôtels à Monastir et un à Yasmine Hammamet, a suggéré d’investir dans l’environnement « au lieu de dépenser de l’argent en promotion actuellement » et en renforçant la sécurité.
Karim Dahmani, directeur Commercial de la compagnie aérienne Nouvelair, a également reconnu être « dans une situation catastrophique », avec un arrêt net de certains marchés comme la Scandinavie et le Portugal. « Notre vol en provenance de Porto aujourd’hui est revenu vide. Nous ne devrons plus compter sur les Anglais cette année, nous allons donc devoir placer nos avions ailleurs » a-t-il rapporté en substance.
Pessimisme ambiant
Néjib Bouzidi, directeur Commercial de la chaîne RIU en Tunisie, est pour sa part tout aussi pessimiste. D’abord, parce qu’il considère que « l’image de marque de la destination est au plus bas », ensuite parce que « le plus grave, ce sont les années à venir et les programmes de 2016 et 2017 » estime-t-il. Bouzidi n’a pas manqué de rappeler que le marché britannique était celui qui se portait le mieux et qui « tombe à l’eau », sachant que la majorité des victimes sont anglaises.
Idem pour Anis Sehili, directeur Commercial de la chaîne El Mouradi qui compte 15.000 lits et emploie 4000 personnes qui a évoqué l’arrêt du booking au départ d’une multitude de marchés. « Que va-t-on faire pour nous hôtels ? » s’est-il interrogé, se demandant comment faire en l’absence de remplissage des différentes unités. De son côté, Mossaab Battikh, directeur général de Magic Hotels pour l’Afrique du Nord, a indiqué que dans les 12 hôtels du groupe en Tunisie, un millier de clients avaient décidé de rentrer et 11.000 autres avaient annulé leur réservation. Battikh a appelé les autorités tunisiennes à revoir la réglementation sur les produits de sécurité tels que les détecteurs de métaux et autres scanners qui devraient être exonérés de taxes à l’achat.
Dans cette longue litanie d’annulations, la commissaire régionale au Tourisme, Salwa Kadri, a rejeté une partie de la responsabilité de la sécurité sur les hôteliers eux-mêmes « qui ne respectent pas les normes », citant en exemple l’hôtel visé par l’attentat qui ne disposait même pas de caméras de surveillance a souligné la responsable. « S’il y a une baisse des arrivées touristiques, c’est aussi à cause de la qualité, pas uniquement à cause de la sécurité » a-t-elle encore accusé.
Mais dans cette opération initiée par la FTAV, ce sont les députés qui ont été certainement sensibilisés à la réalité du terrain touristique. « C’est le moment de regarder le secteur vers l’avenir et de voir comment le restructurer » a proposé le député Mongi Rahoui (Front populaire). Son collègue Khemaïs Ksila (Nidaa Tounes), a « assuré la profession du soutien des députés pour convaincre le gouvernement dans le cadre de décisions à prendre et pas seulement dans l’hôtellerie ». Quant à la sécurité, Ksila a estimé que c’était le sujet numéro 1 à traiter mais qu’il fallait que cela se fasse à huis-clos. Car effectivement, vu comment le dossier a été géré depuis l’attentat du Bardo, il y a lieu de devoir revoir les fondamentaux sécuritaires du pays. Aujourd’hui, les professionnels du tourisme se demandent si l’on peut encore parler de ramener des touristes alors que les autorités ne sont pas encore en mesure d’assurer leur protection.
© Destination Tunisie
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