Eté 2009: vacances en mode crise
20 juin 2009Quand l’Europe éternue, ce sont les destinations touristiques traditionnelles de l’Afrique du nord qui s’enrhument.
Face à la crise qui frappe leurs principaux marchés pourvoyeurs de touristes, Maroc, Tunisie et Egypte ont adopté une thérapie anticrise, chacune en fonction de ses moyens… et de son ingéniosité à innover pour stimuler la demande.
Crise financière. Grippe porcine. Economies chancelantes. Pouvoir d’achat en régression. Menace de chômage. Par les temps qui courent, il ne fait pas bon aller en vacances pour un Européen moyen. Pourtant, l’attrait de la mer et du soleil est trop fort. Car dans les dédales du métro parisien, sur le flanc des bus londoniens ou sur la première chaîne de TV russe, on ne cesse de vanter la magie ensorcelante de Marrakech, le charme envoûtant de Djerba la douce et les splendeurs de l’Egypte antique.
Tiraillés, écartelés entre un budget vacances restreint et un besoin impérieux de partir, les touristes européens sont actuellement face à un dilemme : aller en vacances ou épargner pour parer aux mauvais jours qui s’annoncent.
Une étude récente a démontré que les réservations pour l’été 2009 au départ de la France étaient en recul de 21% par rapport à la même période de l’année 2008. D’après un sondage, 52% des Français ont toutefois prévu de consacrer un budget vacances similaire à celui de l’année dernière et 9% comptent même l’augmenter. Enfin 60% des sondés envisagent de choisir une destination proche. Pourtant, les tour-opérateurs semblent plus optimistes. Pour le cas de la Tunisie par exemple, les six principaux voyagistes opérant sur la destination prévoient une augmentation de leurs réalisations en 2009. « Les T.O sont conscients que la saison se jouera sur leur capacité à offrir des stocks de dernière minute » analyse Fetia Kenani, directrice de l’Office national du tourisme tunisien à Paris, qui estime également que la Tunisie, qui a légèrement régressé l’hiver dernier au départ de la France, devrait refaire son retard grâce à une bonne saison été. Avec un budget de promotion doublé, l’Office du tourisme tunisien a programmé une grande campagne d’affichage à Paris et en province en trois vagues (mars, juin et octobre), sur les taxis, dans les couloirs du métro et dans les médias, avec les familles au cœur du message publicitaire. Sur Internet, la Tunisie est classée première sur les sites Opodo et Expedia. En tout cas, c’est la destination qui détient le meilleur rapport qualité-prix sur le marché français. Et quand on sait l’importance que revêt cette année le facteur prix, on mesure toute l’importance pour les destinations d’afficher leur compétitivité.
THERAPIE MAROCAINE
Pour faire face à cette crise, le Maroc de son côté n’a pas lésiné sur les moyens et a injecté 10 millions d’euros supplémentaires pour consolider son image touristique en Europe -dont 1 million sur la France, portant à 3 millions d’euros son budget global sur ce marché, soit au moins le double de la somme consacrée par ses concurrents directs (Egypte 1,5 million et Tunisie 1,2 million, finalement consolidée à 2 millions). Vu sous cet angle, le Maroc semble partir avec une longueur d’avance.
Cependant, l’initiative la plus significative a été de lancer un site Internet pour le moins audacieux, dénommé « Maroco Thérapie » (www2.moroccotherapy.com) et affublé du slogan « il est temps d’aller mieux ». Au Maroc, ce projet n’a pas manqué de faire grincer quelques dents. Mais les professionnels de la communication reconnaissent dans leur majorité que l’approche choisie (humour) et le ton (décalé) employé vont sans aucun doute faire mouche auprès des vacanciers traditionnels. Sur ce portail, décliné en pas moins de huit langues, un certain Professeur Karma invite à aller mieux grâce à ses préconisations. En arrivant sur le site, on est invité à répondre à un test pour connaître ses symptômes.
En tout cas, une manière originale et bon enfant de faire du buzz autour de la destination, d’autant que l’issue du parcours s’achève par des suggestions commerciales concrètes. Il fallait oser !
Paradoxalement et en consultant les statistiques de visites du site sur Internet (sur le moteur spécialisé Alexa ; réalisations au 4 mai 2009), c’est en Grande-Bretagne qu’il a eu le moins de succès (2,3% du total des visites du site) tandis que les Pays-Bas totalisent 31,1% du total des visites, soit le taux l plus élevé parmi les marchés ciblés par le Maroc.
Quant à l’Egypte, sur le marché français, elle s’acharne à panser les plaies du dernier attentat du Caire qui a coûté la vie à une adolescente française en février 2009.
Face à la crise, les pouvoirs publics de ce pays n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère et ont décidé notamment de remettre en place une initiative déjà usitée en 2001 et qui consiste à soutenir les tour-opérateurs qui n’arriveraient pas à remplir leurs charters vers l’Egypte.
Mais ce pays a fait beaucoup plus fort en adoptant des mesures d’ordre fiscal pour le moins courageuses : exonération des hôtels de la taxe sur le fonds de promotion touristique et réduction de moitié (voire suppression totale sur certains aéroports) des redevances aéroportuaires pour les compagnies aériennes charter et Low Cost. Par ailleurs, l’Egypte développe son offre cette année et lance sur le marché de nouvelles stations à l’image de Marsa Matrouh, El Alamein, Alexandrie et certaines oasis du nord et du centre-ouest. Pour accompagner ces lancements, le pays a déployé de grands moyens promotionnels, a augmenté ses capacités aériennes et programmé de grandes campagnes publicitaires. Ceci étant, la haute saison égyptienne correspondant à l’hiver, il est fort probable que la destination tire profit de ses initiatives d’une part mais aussi d’une accalmie sur le front de la crise après l’été d’autre part.
QUELLES VACANCES POUR LES ALLEMANDS ?
En 2008, ils ont été 978.000 Allemands à choisir l’Egypte (+4,7% par rapport à 2007) comme destination de vacances, 521.500 la Tunisie (+1,5%) et 68.000 le Maroc (-5%).
Cependant, et à cause du déclenchement effectif de la crise et du décalage des vacances de Pâques au mois d’avril, les destinations d’Afrique du nord ont connu diverses fortunes au départ de l’Allemagne au cours de la dernière saison touristique hiver 2008-2009 : l’Egypte et la Tunisie ont enregistré une baisse respectivement de 21,5% et de 5,5%, tandis qu’au même moment, le Maroc progressait de 8,6%. Autre explication : de nombreux Allemands ont supprimé leurs vacances d’hiver pour se concentrer sur celles de l’été.
A l’origine de ce comportement, les effets de la crise. L’économie allemande prévoit une baisse de 5% du PIB en 2009. Les exportations ont déjà enregistré une baisse historique de 23,1% tandis que la production industrielle a reculé de 20,8%.
Sur le plan touristique, la baisse des départs en avion était de 7% au printemps par rapport à la même période il y a un an. Les voyagistes ont réagi à ce recul de la demande par la réduction de leurs capacités aériennes de 10 à 15%. Les deux tour-opérateurs allemands, TUI et Thomas Cook, principaux leaders du marché, sont en perte de vitesse. En contrepartie, c’est Rewe Touristik qui récolte les parts perdues de ses concurrents.
En tout état de cause et quelles que soient leurs destinations de vacances, les Allemands cette année se décideront à la dernière minute avant de partir. Les opérateurs jugent donc l’année 2009 comme étant « l’année du Last Minute par excellence ». Face à cette situation, les T.O font les yeux doux à leurs clients et adoptent des « mesures de séduction » en offrant des bonifications sur les départs en famille, les réservations sur catalogue ou sur l’Early Booking (les réservations précoces).Autre constat manifeste, le touriste allemand intensifie sa demande en All Inclusive pour réduire autant que possible ses dépenses en extras lors de ses vacances. Les voyagistes sont unanimes sur le fait que le rapport qualité-prix sera un facteur déterminant dans le choix de vacances des Allemands, en tout cas pour les destinations à moins de quatre heures de vol. A défaut, il demeurera une alternative au touriste allemand, celle de passer ses vacances dans son propre pays.
L’EMBARRAS DU CHOIX DES ITALIENS
Où iront les Italiens en vacances cette année ? Bienheureux celui capable de prédire avec exactitude le comportement touristique de ce marché cet été. Car pour les Italiens désireux d’aller vers le Sud, c’est un assortiment de destinations qui s’offre à eux. Grâce à une situation géographique privilégiée, les Italiens ont le choix entre la Tunisie toute proche, le Maroc ou l’Egypte. Sans parler de la Grèce, de l’Espagne ou de la Jordanie.
Pour les destinations nord-africaines, l’Italie constitue un marché émetteur de premier ordre. Mais la crise est passée par là et l’hiver 2008-2009 (novembre à mars) a été marqué par une baisse moyenne de 20% des départs en vacances à l’étranger (-15% pour l’Egypte ; -11% pour la Tunisie). Cependant, le phénomène de baisse n’a pas concerné les stations de ski du nord du pays, ni même les croisières de luxe. Signe que le consommateur à fort pouvoir d’achat n’a pas été affecté par la conjoncture.A la fin du mois de mars dernier, le niveau des réservations était de 30% inférieur à celui de l’année 2008 à la même époque. Et les avis sont loin d’être convergents dans les milieux professionnels : si certains prédisent une tendance en hausse de 10 à 30% des départs en vacances cet été, d’autres estimations plus pessimistes considèrent que la tendance sera négative avec un recul envisagé de 20 à 50%.
Pour parer à cet état de fait, les tour-opérateurs, souvent avec le soutien des destinations, ont mis en place une politique de « dynamic pricing » qui consiste à élaborer des offres commerciales attractives sur le plan tarifaire afin de pousser aux réservations.Concrètement, l’Egypte ouvre plusieurs nouveaux hôtels-clubs italiens, programme des vols à partir d’aéroports régionaux et baisse ses prix, contrairement au Maroc qui maintient ses prix mais qui s’appuie sur une politique d’ouverture totale du ciel aux compagnies aériennes et met en avant ses produits hiver et circuits. La Tunisie, de son côté, consolide sa programmation aérienne avec sa compagnie publique Tunisair qui augmente de 10% sa capacité pour la porter à 310.000 sièges en régulier et charter. La destination enregistre également l’arrivée de pas moins de 5 nouveaux T.O qui intègrent la destination dans leur production et ce malgré la conjoncture. Mais le fait le plus marquant est aussi l’ouverture à compter du mois de novembre prochain d’une ligne régulière Milan-Tozeur à raison de deux vols hebdomadaires assurés par Tunisair. La compagnie nationale a précisé que ces vols seraient effectifs dans tous les cas de figure. Comprendre par là que même si les engagements des tour-opérateurs sont insuffisants, les vols sont garantis.
LES BRITANNIQUES ECHAUDES PAR L’EURO
Egypte : +15%. Tunisie : +7%. Maroc : -16%. Telles sont les prévisions de l’été 2009 au départ de la Grande-Bretagne vers les traditionnelles destinations d’Afrique du nord. Et pourtant, tout n’est pas rose dans ce pays frappé de plein fouet par la crise mondiale et qui a enregistré une dépréciation de 30% de sa monnaie. Shocking pour la population : après 16 ans de croissance économique, la tendance vient de s’inverser. Au niveau des opérateurs touristiques, 25 compagnies aériennes et 23 T.O ont déjà mis la clé sous le paillasson. Parmi eux, Excel Leisure Group, troisième voyagiste du Royaume derrière TUI et Thomas Cook. Et la menace de faillite continue de planer sur 15 autres compagnies aériennes et 213 T.O dont la santé financière est jugée précaire.
La crise ayant poussé les T.O à réduire leurs capacités aériennes, la saison hiver a baissé de 7%. Malgré cette tendance négative, l’Egypte a réussi à tirer son épingle du jeu en assurant un hiver en progression de 31% grâce à quatre facteurs : l’image très positive de la destination auprès des vacanciers britanniques, le rapport qualité-prix favorable, un dernier hiver très doux en Egypte, en plus d’une forte relation commerciale avec les grands T.O.
Autre grand gagnant de l’hiver, la Turquie qui a enregistré une hausse de 38% des arrivées de touristes en provenance de Grande-Bretagne, tirant ainsi profit de la dépréciation de la livre sterling par rapport à l’euro et du soutien substantiel apporté aux T.O, notamment Thomas Cook.
Au chapitre des baisses, le Maroc a enregistré un recul de 10%. Selon TUI Travel, « ce recul est dû, d’une part à des prix peu compétitifs, et d’autre part à une incompatibilité de l’offre marocaine avec les besoins du touriste britannique ». Quant à la Tunisie, elle a subi les frais de la réduction de capacité des deux grands groupes TUI et Thomas Cook (en pleine réorganisation après la fusion Thomas Cook-MyTravel d’une part et Thomson-First Choice d’autre part) entraînant dans leur sillage une chute des arrivées britanniques de 16% et accentuant encore plus la baisse du marché (la Tunisie a perdu 100.000 clients anglais au cours de deux dernières années).
Ceci étant, les vacances de Pâques ont redonné du baume au cœur de la filière touristique puisque l’on a compté 2 millions de Britanniques partis en vacances à l’étranger durant cette période, ce qui laisse augurer d’une bonne saison été. De plus, avec la chute de la livre, les Britanniques ont privilégié les zones hors euro. D’après l’ABTA, l’association britannique des agences de voyages, Tunisie, Egypte, Turquie et Espagne figurent parmi les destinations qui seront les plus prisées cet été, alors que dans le même temps, la cote de popularité de Malte, Chypre et de la Grèce est en déclin. Malgré tout, le taux de réservation était encore en recul de 12% au printemps dernier, un repli dû à l’attentisme du consommateur. Pour contrer cet état de fait, l’Egypte a lancé début 2009 une grande campagne d’affichage sur le flanc des autobus en plus d’une campagne à la TV et dans la presse écrite. De surcroît, la destination prend en charge une partie du risque sur les charters en garantissant aux T.O 150 L par siège invendu ! Mesure que ni la Tunisie ni le Maroc ne sont en mesure d’assumer.
Du côté du Maroc justement, on a également déployé le site Internet « moroccotherapy.com » avec, derrière, une batterie d’offres commerciales alléchantes. Parallèlement, la destination a lancé une grande campagne d’affichage dans le métro londonien afin de cibler une clientèle de masse.
Vers la Tunisie, la tendance à la baisse devrait se poursuivre, l’Office du tourisme tunisien à Londres estimant à -10% les arrivées britanniques en 2009 et ce malgré l’introduction de la destination dans la programmation de la Tunisie par un nouveau T.O (Palmair) et l’augmentation des fréquences de vols réguliers de British Airways sur l’axe Londres-Tunis (un vol quotidien désormais).
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