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Les agences de voyages billettistes en Tunisie démunies face à la crise

Les agences de voyages billettistes en Tunisie démunies face à la crise

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Les agences de voyages tunisiennes spécialisées dans la billetterie aérienne vivent actuellement des heures difficiles. L’effondrement de leur chiffre d’affaires depuis deux mois n’est pas pour arranger une situation professionnelle fragilisée depuis plusieurs années par une réglementation de plus en plus rigide et par un marché de plus en plus compétitif.

Pour écouter leurs appréhensions et leurs revendications après la Révolution, Destination Tunisie a réuni face à face un large panel d’agences billettistes et les principales compagnies aériennes opérant sur le marché tunisien (Tunisair, Air France, Lufthansa, British Airways, Emirates, Qatar Airways et Tunisair Express) en présence des autres acteurs du secteur, notamment la FTAV, la FTH et Amadeus Tunisie. D’un autre côté, l’ONTT, l’IATA et la Banque centrale de Tunisie, invités officiellement à  prendre part à  cette réunion, ont privilégié la politique de la chaise vide.

Cela ne surprendra personne : le secteur de la billetterie aérienne en Tunisie a connu une baisse énorme depuis la deuxième quinzaine du mois de janvier 2011. Selon les estimations provisoires, on parle de 23 à  45 % de chute par rapport à  la même période de l’année 2010. En cause, la conjoncture exceptionnelle que la Tunisie traverse depuis cette date. S’agissant en général de PME avec un business model peu diversifié, les agences de voyages billettistes sont touchées de plein fouet et s’inquiètent de leur devenir à  court et à  moyen-termes. Malgré des mesures prises par la FTAV, leur fédération de tutelle, pour tenter d’amortir le poids de la crise -et dont l’application se fait encore attendre- les agences ne cachent pas leur amertume face à  un secteur devenu marginalisé. Radhi Boussaâda, directeur général de l’agence Ariana Voyages, déplore d’ailleurs cet état de fait, considérant que «les agences sont le dernier maillon de toute la chaîne économique car le loisir vient en dernier lieu». Pour Nadaa Ghozzi Farhat, directrice de l’agence Select Travel & Tours, le constat est encore plus amère : «Nous sommes le pauvre intermédiaire qui est l’orphelin de tout le monde et qui n’est respecté par personne. Nous n’avons pas de lobbying réel pour imposer nos décisions ni aux compagnies aériennes ni aux hôteliers. Les compagnies aériennes ont le droit de vendre directement sans que nous ayons le droit de parler de leurs frais de services, les amicales des entreprises ont le droit de traiter directement avec les hôtels et l’administration ne prend pas la peine de nous écouter quand il le faut».

ETAT DES LIEUX D’UN SECTEUR

A cause de leurs structures fragiles et des problèmes de liquidités qu’elles ont rencontrés après la Révolution, nombre d’agences de voyages n’ont pas été en mesure d’honorer leurs engagements financiers à  l’égard du BSP lors de la dernière échéance. Pour ne pas arranger les choses, leurs banques ne leur ont pas accordé de facilités de caisse pour répondre à  leurs besoins les plus immédiats. Résultat : les agences sont aujourd’hui à  la recherche de solutions urgentes pour assurer leur survie. «Avant la révolution, nous travaillions sur les voyages d’agrément et d’affaires qui, souvent, étaient liés entre eux car Monsieur et Madame voyageaient souvent ensemble. Après la Révolution, nous ne vendons plus que les billets affaires. Nous avons donc perdu depuis janvier au moins 50 % de nos ventes» déplore Khaled Masmoudi, directeur général de l’agence Romulus Voyages et membre de la FTAV.

Constat relayé par Radhi Boussaâda qui précise que «la billetterie des entreprises et des sociétés partenaires a vu son chiffre d’affaires baisser de 50 %. Le 15 de chaque mois, nous devons nous acquitter de nos paiements. Est-ce que nous allons tenir le coup ? Nous payons également les salaires. La réponse, c’est que notre pays reprenne petit à  petit, au bout de 6 mois, mais il faut être très réaliste. Qu’allons-nous faire au cours de ces 6 mois. Allons-nous être capables d’assurer nos engagements financiers ?».

Pour répondre à  l’urgence de la situation, la FTAV a arrêté un certain nombre de décisions que sa représentante, Hayet Soukri, également directrice générale de l’agence Vita Travel, décrit : «au niveau de la Fédération, nous avons tenu notre conseil d’administration dernièrement et avons pris un certain nombre de décisions et les démarches sont en cours. Nous avons d’abord fait une demande au ministère du Tourisme pour réduire la TVA de 18 à  12 % au moins pour 3 mois renouvelables si la situation ne s’améliore pas. Nous avons également décidé de demander à  Tunisair en premier et aux autres compagnies aériennes en second d’augmenter la commission d’agence qui est aujourd’hui de 1 % à  5 %. Pourquoi 5 % ? Nous avons entendu récemment M. Nabil Chettaoui (PDG de Tunisair) à  la radio qui a déclaré que les nouveaux avions de la compagnie ont pu être achetés grâce à  la commission des agences de voyages. Le troisième point : nous avons envoyé une demande à  la CNSS pour la suppression totale des cotisations pendant trois mois ou leur report. Pour Amadeus, nous avons des suggestions : nous souhaitons une réduction de 50 % pour les licences et 50 % pour les agences qui ont un matériel payant pour les aider. Amadeus a d’ailleurs été la seule à  venir vers nous et nous demander ce qu’elle pouvait faire pour nous, ce qu’aucune compagnie aérienne n’a fait».

Du côté d’Amadeus Tunisie en effet, des mesures sont en cours d’élaboration pour alléger la pression qui pèse sur ses partenaires. Majdi Zarbout, directeur au sein du GDS, confirme «la décision de réviser la politique commerciale et la révision du pricing dans ce contexte. Pour le moment, rien n’est certain mais nous pensons à  une réduction environ de 50 % sur la facturation mensuelle (e-power non compris) pour la période de crise et nous agirons en fonction de l’évolution des choses».

Ce geste ne pourra toutefois pas résoudre totalement la problématique des agences. C’est donc vers l’administration fiscale que tous les regards sont orientés. Radhi Boussaâda, de l’agence Ariana Voyages, soumet une idée particulière : « l’acompte provisionnel et les différents trop perçus de TVA et de retenues à  la source que nous avons déjà  avancés doivent être pris en considération par les finances à  travers un mécanisme de compensation car il s’agit de notre argent. Ce n’est pas une faveur, nous n’avons rien demandé à  l’Etat.
Mais au lieu d’être grevés par des intérêts bancaires, cela nous permettra de survivre 6 mois ».

QUID DE LA RELATION AGENCES DE VOYAGES-COMPAGNIES AERIENNES

La relation de partenariat entre les agences de voyages et les compagnies aériennes sur le marché tunisien se résumeraient-elle à  une phrase : « je t’aime, moi non plus » ? Du côté des agences de voyages, on semble avoir beaucoup à  reprocher à  la politique commerciale de certaines compagnies aériennes. Mehdi Ghannouchi, directeur de l’agence TGV, est le premier à  monter au créneau en posant une question cruciale : «quel est le rôle de la compagnie aérienne et quel est le rôle de l’agence de voyages. Je veux parler de la question de la vente en ligne qui constitue pour nous un problème de concurrence. Le rôle des compagnies aériennes est-il de transporter ou de vendre ? Si les compagnies nous font de la concurrence en cette période de crise, nous ne pouvons plus avancer. Je trouve qu’il n’est pas normal que des compagnies aériennes comme Tunisair et Emirates donnent des tarifs que nous ne pouvons pas avoir en vente sur nos machines». De son côté, Moez Hattour, directeur général de l’agence Always Travel Service, s’interroge également sur la relation entre agences de voyages et compagnies aériennes notamment pour ce qui concerne les contrats tripartites réalisés par les compagnies avec les entreprises qui constituent un blocage pour les agences».

A ces problématiques, les compagnies aériennes répondent sans ambages ni détour. Walid Bouzgarou, directeur des Ventes d’Emirates pour la Tunisie, explique la politique de sa compagnie : «Nos tarifs sur le système sont exactement ceux qui sont sur Internet et il n’y a aucune différence. La différence, c’est que les ventes sur Internet ne sont pas soumises aux frais de service. Nous avons baissé nos tarifs de 15 % depuis le 4 février pour encourager le Tunisien à  partir sur toutes nos destinations et dans toutes les classes. Nous avons une campagne de publicité qui démarre le 1er mars pour encourager les gens à  voyager. Nous allons dépenser 100.000 dinars pour cette campagne. Qui va tirer profit de cette campagne ? Ce sont les agences de voyages».

Jalel Chebbi, directeur commercial de Qatar Airways pour la Tunisie, réplique également : «Je voudrais rappeler que pour une compagnie aérienne, il y a plusieurs canaux de distribution et Internet est un des canaux. Tout le monde sait que le taux de pénétration de la vente en ligne en Tunisie n’est pas très important. Certes, c’est un créneau porteur, certes c’est un créneau stratégique, mais soyons pragmatiques, les ventes sur Internet –je parle de ma compagnie- ne sont pas très importantes et ne constituent en aucune manière une menace pour les agences de voyages. J’ajouterai que pour le cas de Qatar Airways, toute agence de voyages disposant d’un moteur de réservation en ligne avec process automatique de bout en bout (réservation et paiement), je suis prêt à  lui mettre en ligne nos tarifs e-commerce. Pour ce qui est de l’absence des frais de service, toutes les compagnies sont d’accord qu’ils ne soient pas intégrés sur les ventes en ligne partant du principe que le client se sert tout seul».

Du côté de la Lufthansa, Werner Kellerhals, son directeur général pour l’Afrique du Nord, s’empresse de remettre les choses en place : «Sachez que c’est strictement interdit de discuter les prix et je ne sais pas si vous êtes au courant qu’il y a un procès en cours en Tunisie contre les compagnies d’aviation qui se seraient mises d’accord pour entente sur les prix. Je suis totalement contre cela car chacun a ses coûts et selon les coûts, les prix sont fixés par chaque agence de voyages et chaque compagnie d’aviation. Le ticket service charge, c’est le service qu’une agence de voyages donne à  ses clients que la compagnie d’aviation ne peut pas donner. A la Lufthansa, nous ne cherchons pas le client direct, mais nous ne le refusons pas s’il veut venir. Le service on-line coûte moins cher, c’est une machine qui fait tout. Chaque agence de voyages est libre de faire ses prix sur une plate-forme Internet ; nous donnons ces prix aux agences qui sont on-line, sauf qu’il faut gérer cela».

Quant à  Mohamed Farhat, directeur de la délégation générale de Tunisair, il rappelle à  ses partenaires agences que «les compagnies aériennes n’offrent pas le même service que les agences de voyages. Une compagnie aérienne, son service se limite à  l’émission de billetterie aérienne. Par contre, l’agence de voyages peut offrir beaucoup de services autres». Et comme pour redonner du baume au cœur des agences, le représentant de la compagnie publique annonce que «Tunisair est en train de préparer son site BtoB en faveur des agences de voyages qui est presque prêt. Nous avons prévu un séminaire avec les agences de voyages, mais vu le contexte actuel, ça n’a pas pu se faire mais ce sera fait dans peu de temps. La vente sur ce site se fera sans frais de service pour les agences de voyages. Ils pourront vendre comme sur les GDS. Tunisair a également préparé un plan, dès le retour au calme, pour la promotion des ventes et aider les agences de voyages à  reprendre leurs activités normalement car actuellement, même si nous donnons des billets à  0 millime, personne ne va voyager».

Pour consolider cette approche, Fathi Ellouze, directeur général de l’agence Prestige Voyages, en appelle aux compagnies aériennes pour «lancer des tarifs spéciaux sur des destinations données qui puissent à  peu près s’aligner sur les low cost pour développer certaines destinations». Mehdi Ghannouchi, de son côté, insiste pour que «Tunisair, qui essaye de ramener des touristes dans le sens Nord-Sud avec des tarifs attractifs, essaye de faire de même dans le sens Sud-Nord pour améliorer la situation».

Réagissant à  la question des compagnies à  bas prix, Tarek Lassadi, directeur général de Traveltodo, lance un appel aux agences de voyages pour qu’elles se préparent au low cost. «Quelle situation pour les agences de voyages après l’arrivée des low cost dont le modèle ne permet pas de commission ? Nous aurons des touristes en plus mais il faut que les agences de voyages soient protégées.»

REVOIR LA COMMISSION, UNE IDEE UTOPIQUE ?

S’il est une demande émanant de la FTAV et qui semble avoir ébranlé les compagnies aériennes occidentales opérant sur le marché tunisien, c’est bien l’augmentation de 1 à  5 % de la commission servie aux agences. En aparté, un agent de voyages nous a avoué que cette demande est orientée vers Tunisair qui semble être «dans une phase de faiblesse décisionnelle si l’on se réfère à  son acceptation des revendications sociales de son personnel notamment et à  l’annulation de son processus de filialisation» ! Lufthansa, par exemple, ne l’entend pas de cette oreille et affirme son opposition absolue : «je pense que les compagnies aériennes ne reviendront pas en arrière car la tendance est très claire dans le monde entier d’aller vers le 0 %» a déclaré Werner Kellerhals. Réagissant également au sujet des tarifs des compagnies aériennes jugés excessifs, le directeur régional de Lufthansa dément les allégations : «les tarifs trop chers, ce n’est pas vrai. La Tunisie est un marché avec un niveau de tarifs assez bas par rapport à  beaucoup d’autres pays. Si vous aviez un consolidateur, il pourrait obtenir des tarifs très intéressants. Si vous venez nous dire : j’ai 5000 places sur l’année et je paye au comptant, je vous dirai que l’on peut discuter bien-sûr. Je refuse que l’on nous dise que nous faisons de la vente directe en Tunisie pour nous piquer les clients. Si vous me trouvez une seule personne que nous allons chercher et à  qui nous vendons en direct, je vous le rends en double. Quand on donne des tarifs on-line aux agences de voyages, on fait très attention à  ce qu’elles ne vendent pas directement via leur agence classique parce que ce n’est pas loyal. Nous faisons des tarifs promotionnels dans notre propre intérêt et dans le vôtre. Les compagnies et les agences de voyages, nous sommes dans le même bateau».

PROBLEMATIQUES EN TOUS GENRES

Sur un autre plan, il est surprenant que plusieurs agences de la place ne semblent pas être au fait de la règlementation, de toute évidence dû au manque d’information et de communication avec les instances, notamment FTAV et IATA. On est également surpris que certains ne connaissent pas l’APJC (la commission conjointe compagnies-agences) ou l’accusent de faire la pluie et le beau temps dans le secteur. Sur quelles bases sont choisis les membres de l’APJC ? La FTAV devrait de pencher sur la question pour revoir la représentativité des agences au sein de cette instance dont certaines se sentent exclues, tandis que l’IATA pourrait procéder à  des séminaires de formation pour que les agences soient plus au fait de la règlementation et du fonctionnement des institutions qui régissent le secteur.

Pour Sonia Abdellatif, de l’agence Take off Travel par exemple, il est inadmissible, estime-t-elle, que son agence soit tenue de payer le BSP tous les 15 jours alors que les autres agences ne payent qu’une fois par mois. Renseignement pris auprès de l’IATA, nous avons appris que conformément aux critères locaux d’accréditation qui sont décidés par l’APJC, l’agence de voyages a le choix entre le paiement mensuel ou bimensuel. Si elle opte pour le paiement mensuel, elle doit alors fournir une caution de 100.000 dinars. Si par contre elle choisit le paiement bimensuel, la caution sera alors de 50.000 dinars. De surcroît, l’agence a la possibilité de basculer d’un système à  un autre.

De son côté, Nadia Ketata, directrice générale de l’agence Sport & Events Travel, évoque toute la difficulté des petites agences de voyages pour émerger: «nous sommes accablés par les cautions appelées caution insolvabilité. Nous sommes des structures très fragiles avec des marges insignifiantes. Comment les compagnies aériennes pourraient-elles agir pour que les jeunes agences soient accréditées IATA, c’est dans leur intérêt».

A propos des assurances justement, Mohamed Farhat, directeur de la délégation générale de Tunisair apporte la précision nécessaire : « en tant que président de l’APJC, je sais qu’au niveau de la FTAV, il y a eu des contacts avec deux assurances : la première a proposé 1% sur le chiffre d’affaires des agences et la 2e a proposé 0,3% de leur C.A, quel que soit l’ancienneté de l’agence. Cette dernière formule a été retenue par la FTAV et d’ici début avril, cette assurance va être mise en place pour remplacer la caution bancaire ». Voilà  qui devrait donc résoudre un point crucial parmi les nombreux autres qui grèvent la bonne marche du secteur.


Hédi HAMDI

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