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Moncef Zouari, victime, 10 ans après, d’une justice à deux vitesses

Moncef Zouari, victime, 10 ans après, d’une justice à deux vitesses

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Alors que tout le monde croyait le dossier de l’accident d’avion de l’ex-Tuninter clos, voilà que près de 10 ans après, Moncef Zouari, directeur général de la compagnie à l’époque, aujourd’hui à la retraite, se fait arrêter à l’aéroport de Vienne le weekend dernier suite à un mandat d’arrêt international émis à son encontre.

Le vol UG 1153 de l’ex-compagnie aérienne Tuninter vient de faire une nouvelle victime, en l’occurrence son premier responsable, Moncef Zouari, directeur général de la société à l’époque des faits. Il faut en effet savoir qu’en 2008, soit trois ans après l’accident, le tribunal de Palerme avait décidé de condamner à de lourdes peines de prison ferme 7 membres de la compagnie tunisienne : son directeur général, son directeur technique, le commandant de bord et le pilote du vol ainsi que plusieurs responsables techniques au sol. Retour en détail sur une regrettable affaire mais aussi sur un verdict inadmissible, reflet d’une justice loin d’être équitable.

Rappel des faits

Samedi 6 août 2005. Un ATR 72 de l’ancienne compagnie Tuninter s’apprête à effectuer un vol charter Djerba-Bari-Djerba pour le compte d’un tour-opérateur. Avant le départ, la jauge à carburant de l’appareil est remplacée par une nouvelle extraite du stock de pièces de rechanges de la compagnie dûment consignée selon les procédures en vigueur d’un système mondial de magasinage aéronautique, l’Amasis. La nouvelle jauge indique au commandant (qui prend son poste pour son premier vol de la journée) la présence dans les réservoirs de 3800 kilos de carburant, soit une quantité suffisante pour effectuer le trajet aller et retour.

L’arrivée en Italie se fait sans problème. Toutefois, le commandant de l’appareil ayant suspecté une anomalie sur la consommation de carburant, demande, à titre préventif, un complément de 240 litres de kérosène pendant l’escale de Bari. Le vol repart vers Djerba avec, à son bord, 32 passagers, tous de nationalité italienne, et 5 membres d’équipages tunisiens (2 pilotes, 1 hôtesse, 1 steward et 1 technicien de maintenance).

Arrêt des moteurs

15h24 au large de la Sicile. Coup de théâtre en plein vol, les moteurs de l’avion perdent tout à coup de leur puissance. Dans le cockpit, le pilote et son copilote gardent leur sang-froid, effectuent la check-list d’urgence pour tenter de déceler la panne et lancent un May-day (SOS en anglais) au contrôle aérien italien. Toutefois, le contrôleur de service ne semble pas saisir l’ampleur du message à cause de sa pratique d’un anglais très approximatif. Aucune instruction utile, aucune indication sur un éventuel parcours alternatif pour rejoindre l’aérodrome le plus proche… Il ne sera d’aucun apport.

Les deux moteurs étant arrêtés, les instruments de bord ne sont plus utilisables et l’avion plane en perdant de l’altitude. Le pilote fait connaître sa position exacte, signale l’existence d’un bateau navigant dans la zone, avant d’effectuer un amerrissage d’urgence sur les eaux, ce jour-là tumultueuse, de la Méditerranée avec, de surcroît, un vent fort. Malgré une manœuvre correcte (angle compatible de 9° selon le rapport officiel d’accident) 14 passagers italiens et deux membres d’équipage tunisiens (le steward et le technicien) y perdent malheureusement la vie puisque l’avion se brise en deux au contact de l’eau. Les 23 autres personnes seront sauvées.

La piste du carburant

Très vite, l’enquête s’oriente vers le carburant de l’appareil. Les inspections se succèdent et la partie italienne ordonne plusieurs expertises très poussées au sein même de la compagnie en Tunisie. La partie tunisienne montrera sa totale disponibilité et sa coopération pour faire avancer les choses. Au bout du compte, il s’avèrera finalement que l’accident a été provoqué par un arrêt des moteurs faute de carburant. Or, pourquoi la jauge de l’avion a-t-elle affiché des données erronées qui ont induit en erreur les pilotes ? Pour la simple et bonne raison que celle-ci, pourtant  nouvelle (puisque remplacée avant le départ à Djerba) n’était pas la bonne !

C’est en fait la jauge d’un avion de type ATR 42 et non ATR 72 qui a été installée par erreur. A y voir de plus près cependant, toute la différence entre les deux jauges réside dans un simple trait d’union figurant sur le numéro de référence de la pièce. Celui-ci est exactement le même pour les deux types d’appareils (même couleur, même taille).

Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons sollicité l’avis d’un spécialiste en maintenance aéronautique qui nous a expliqué que la jauge remplacée aurait dû être rejetée par un système de contrôle électronique supposé relever l’anomalie. C’est le cas sur tous les avions. Or, ce système de sécurité n’a pas fonctionné pour la simple et bonne raison que l’avionneur franco-italien ATR ne l’avait jamais installé sur ses appareils à l’époque.

Toujours selon notre expert, il y a lieu de relever l’absence sur les ATR de tout dispositif d’alarme connu sous le nom de « low level system », supposé avertir les pilotes de la baisse du niveau de carburant. Ce qui est tout bonnement impensable.

Les leçons de l’accident

Suite à cet accident et à deux  recommandations des autorités de la sécurité aéronautique italienne (l’ANSV), la faille a  ensuite était comblée sur tous les avions de ce type. La même erreur avait d’ailleurs été commise sur un appareil de la Lufthansa mais heureusement sans issue dramatique. Mais c’est Tuninter qui a de toute évidence subi les conséquences de ces défaillances.

Dans un rapport du bureau Veritas réalisé à  l’époque et dont nous avons a obtenu copie (référence : TOB/480/05/CC), des experts venus de France pour réaliser un diagnostic de l’organisation de la direction technique de la compagnie fin 2005, il est mentionné en conclusion que « les personnels techniques impliqués dans les processus d’entretien, possèdent les formations et expériences des métiers compatibles avec les exigences européennes en matière de personnels ». Exit donc l’argument selon lequel les compétences de la partie tunisienne auraient pu être mises en cause.

Pas de black-list

Au cours de notre enquête à l’époque, un tour-opérateur italien habitué de la destination Tunisie nous avait avoué en aparté que « Tuninter détenait un niveau de compétence et de sécurité bien supérieur à certaines compagnies aériennes italiennes ». D’ailleurs et pour étayer ce témoignage, la compagnie avait obtenu en mars 2006 (soit moins d’un an après l’accident) un blanc-seing de la part de la Commission Transport de l’Union européenne à Bruxelles qui avait tout de suite accordé à Tuninter le droit de revoler vers l’Italie, brisant ainsi le souhait de certains de la « black-lister ».

Entre temps et au niveau de la compagnie, on avait indemnisé les victimes (22 millions d’euros selon nos sources) en un temps record tant pour marquer sa totale solidarité avec elles que pour tenter d’atténuer leur malheur.

Un procès et beaucoup d’ambiguïtés

Janvier 2009. Le tribunal de Palerme ravive les plaies de l’accident. Le procureur requiert des peines de prison allant jusqu’à 12 ans fermes à l’encontre des membres de l’ex-Tuninter ! Du côté tunisien, on est évidemment stupéfaits par les excès du réquisitoire. « On se croirait dans un mauvais polar avec, en toile de fond, un homicide volontaire » nous avait alors déclaré un responsable de la compagnie !  L’un des avocats de la partie tunisienne aurait même lâché le mot au tribunal, estimant « qu’il ne fallait pas confondre justice et vengeance de la part des familles des victimes ».

Mars 2009. Le juge se range totalement du côté du procureur et prononce de très lourdes peines de prison ferme à l’encontre des Tunisiens. Du côté de l’ex-Tuninter, on est estomaqués par la nature de ce jugement partial car aucune circonstance atténuante n’a été prise en compte comme le prévoit la loi. Même l’Association internationale des pilotes de lignes (IFALPA), à travers le Herald Tribune de Londres, était montée au créneau à l’énoncé du verdict. En toute objectivité, la fédération avait souligné que « l’équipage avait réagi à la perte de puissance en appliquant les procédures en vigueur effectuant avec succès un amerrissage forcé. En vertu des règles internationales régissant les enquêtes sur les accidents d’avions, de telles circonstances ne doivent pas donner lieu à des poursuites pénales ».

Soutien de l’IFALPA

Cette même fédération n’avait pas hésité à « exhorter le gouvernement italien à agir sans délai en vue de modifier les lois en vigueur qui continuent d’avoir un effet néfaste sur la sécurité aérienne et, ce faisant, améliorer la sécurité des passagers ». Aujourd’hui encore, cette même IFALPA vient de dénoncer publiquement l’arrestation de Moncef Zouari.

Ce qu’il faut par ailleurs savoir, c’est que les victimes ayant été indemnisées, les peines auraient déjà dues être réduites d’au moins un tiers. Or, ni le procureur ni le juge italiens n’ont de toute évidence pris en considération les rapports techniques des trois experts (italiens aussi) mandatés par le tribunal et qui disculpe en partie l’ancienne compagnie tunisienne.

S’agissant d’un système judiciaire complexe, les médias et une partie de l’opinion publique italienne avaient de toute évidence exercé une pression sur la justice l’acculant à se prononcer sur des critères subjectifs et « en se faisant conditionner par des implications psychologiques et émotionnelles » (pour reprendre l’expression de l’un des avocats de la défense durant l’une des plaidoiries).

Et dans cette affaire, le constructeur aéronautique ATR, ou son sous-traitant Intertechnique qui fabrique les jauges, n’ont-t-ils pas à endosser une part de responsabilité qui est apparue sans équivoque lors de l’enquête ? Mais en tant qu’entreprise à moitié italienne, il n’était pas séant pour la justice de ce pays de pointer du doigt l’un des fleurons industriels nationaux !

Le pilote, héros condamné à 10 ans

Autre paradoxe affligeant : considéré dans un premier temps comme un héros par la presse italienne pour avoir réussi un amerrissage parfait et sauvé une grande partie des passagers, le commandant de l’appareil a vu d’un seul coup le vent tourner contre lui. Il avait été condamné en première instance, avec son copilote, à dix années de prison ferme ! Il n’est pas inutile de rappeler au passage qu’au moment des faits, le commandant comptait exactement 5582 heures de vol et son copilote 2130 sur des appareils de ce type (ATR 72 et 42), autrement dit, des pilotes chevronnés et dotés d’une solide expérience.

Les statistiques internationales démontrent que le taux de survie des passagers dans ce genre de situation n’est pas très élevé. Or, dans le cas de l’ATR 72 de l’ex-Tuninter, ce sont les 2/3 des passagers qui ont été sauvés. Il y a quelques années, un autre accident d’avion autrement plus grave avait eu lieu en Italie sur l’aéroport de Milan Linate (collision entre deux appareils au sol due à des erreurs humaines bien plus évidentes) et avait entraîné la mort de 118 personnes le 8 octobre 2001.

Or, les peines prononcées par la justice dans cette affaire avaient été nettement plus légères (4 à 5 ans et 4 mois de prison malgré les fautes graves établies) que celle de l’affaire de Tuninter. On serait presque tenter de parler d’une justice italienne à deux vitesses, voire même d’une forme de « racisme judiciaire ».

Les questions qui se posent

Même s’il est légitime pour les familles des victimes d’obtenir justice et réparation, certaines questions restent posées. Comment se fait-il que personne ne savait qu’un mandat d’arrêt avait été lancé à l’encontre de Moncef Zouari ? Mais avant d’en arriver là, le tribunal de Palerme était-il compétent pour juger un accident ayant eu lieu dans les eaux internationales et non pas dans les eaux territoriales italiennes ? Et à quoi les rapports des experts ont-ils servi s’ils n’ont pas été pris en considération ? Est-ce que des hauts cadres de la compagnie ont-ils à être condamnés à de la prison ferme, eux qui exerçaient leur fonction dans leur bureau au moment de l’accident ?

Maintenant, il s’agit pour les autorités tunisiennes de mettre tout en œuvre pour que Moncef Zouari puisse rentrer au pays et déchargé des accusations qui pèsent sur lui. Aux dernières nouvelles, il a été libéré sous caution mais le risque d’être extradé vers l’Italie plane sur lui. Et vu comment la justice italienne a traité l’affaire, il apparaît fondamental de saisir la justice européenne au plus vite pour lui apporter les preuves qu’un pays de l’Union se permet au 21e siècle des jugements dignes d’une république bananière.

Hédi HAMDI

 

 

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