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Mohamed Frikha : comment il a fait plonger Syphax

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Depuis le 30 juillet dernier, date de l’annonce de l’arrêt des vols de Syphax Airlines, Mohamed Frikha, président et fondateur de cette compagnie aérienne privée, est en effet sous le feu des critiques les plus acerbes.

Dans les annales de la presse tunisienne, rarement un chef d’entreprise n’aura subi un tel lynchage médiatique. Pourquoi cet homme respecté pour ce qu’il avait entrepris jusqu’alors avec son autre entreprise, Telnet, joyau technologique, a-t-il perdu en quelques mois, non seulement sa crédibilité, mais aussi tout le capital sympathie dont il jouissait, pour devenir l’une des bêtes noires des réseaux sociaux et des médias ?

Réponse : son entrée en politique. Elu député du parti Ennahdha et candidat malheureux aux dernières élections présidentielles (il avait récolté 0,45% des voix au premier tour), Mohamed Frikha a de toute évidence commis quelques grossières erreurs de stratégie et, certainement aussi au passage, perdu un certain sens des réalités.

Tout avait pourtant bien commencé il y a 3 ans pour Syphax Airlines avec l’annonce du lancement de ses activités au départ de l’aéroport de Sfax, sa ville natale, initialement appelé à devenir un hub régional avec l’ouverture de lignes destinées à stimuler l’économie de la 2e ville tunisienne.

Le premier dérapage ne se fit pas attendre. Dès la conférence de presse de lancement des activités de Syphax Airlines le 14 avril 2012, Mohamed Frikha surprendra les présents en affirmant n’être pas intéressé par le tourisme. Répondant en effet à une question que nous lui avions posée en public à l’époque, concernant l’absence de charter dans son business plan (ce qui parait surprenant dans un pays résolument touristique), Frikha avait balayé de la main cette idée. « Tout au plus, nous ferons des vols charters de nuit si nous avons des appareils disponibles » nous avait-il répondu laconiquement. Il se trouve cependant que, confronté à la réalité du marché, il commencera ses activités commerciales par… un vol charter sur Djerba pour le compte d’un T.O français.

Tunisair et le Canada

Vite rattrapé par la réalité commerciale d’un secteur qu’il ne connaissait de toute évidence absolument pas, Mohamed Frikha effectuera une volte-face et décidera de repositionner ses vols non plus au départ de Sfax uniquement, mais de Tunis-Carthage, sur la sacro-sainte ligne Tunis-Paris, ouvrant la porte à un conflit avec Tunisair tout d’abord puis avec les autorités de tutelle dans une seconde étape.

Multipliant les déclarations incendiaires, notamment en direct à la radio, à l’encontre de tous ceux qui « s’opposaient » à sa compagnie, Mohamed Frikha commencera alors à ne plus se faire que des amis. Plus grave encore, se positionnant en victime provinciale, il contribuera à amplifier le clivage régionaliste entre Tunis et Sfax qui, jusqu’alors, était circonscrit aux gradins de football.

Puis vint le démarrage d’une ligne régulière sur Montréal à partir du 24 avril 2014. L’opinion publique, de toute évidence conquise de voir qu’un privé était capable de faire ce que la compagnie publique n’avait jamais réussi à entreprendre, applaudit des deux mains cette ouverture de vol transatlantique direct entre la Tunisie et le Canada. Là encore, Mohamed Frikha fut rapidement rattrapé par la réalité du marché. La ligne fermera aussi vite qu’elle avait été ouverte !

Mohamed Frikha, pendant les beaux jours de sa compagnie, posant dans le cockpit de l'Airbus A.330 loué pour assurer des vols transatlantiques. Finalement, seule la destination Montréal fut opérée ponctuellement, mais les lignes annoncées sur Pékin et New York ne virent finalement jamais le jour.

Mohamed Frikha, pendant les beaux jours de sa compagnie, posant dans le cockpit de l’Airbus A.330 loué pour assurer des vols transatlantiques. Finalement, seule la destination Montréal fut opérée ponctuellement, mais les lignes annoncées sur Pékin et New York ne virent finalement jamais le jour.

Incroyables turn-over

Mais ce qui a été le plus surprenant dans la courte vie de Syphax Airlines, c’est le nombre de personnes qui auront été recrutées puis licenciées (ou qui auront jeté l’éponge) aussi vite et ce à tous les niveaux : du Top Management à l’employé administratif en passant par les pilotes, les PNC et les commerciaux. Certains signes ne trompent pas : une entreprise qui n’arrive pas à stabiliser son personnel est de toute évidence une entreprise mal gérée au niveau des ressources humaines. Plusieurs témoignages concordants rapportaient que le patron de l’entreprise lui-même s’immisçait dans tous les rouages de la compagnie, même sur certains détails, furent-ils futiles.

Le glas finit par sonner en pleine haute saison estivale, le 30 juillet, avec l’arrêt des vols, laissant sur le carreau 5324 passagers ayant acheté leur billet sans possibilité de voyager, mais aussi 250 employés en Tunisie et une dizaine d’autres en France sans salaire et sans aucune visibilté professionnelle.

Pour beaucoup d’observateurs, Syphax Airlines pourrait devenir le scandale financier que la Tunisie n’a jamais connu, notamment pour la manière avec laquelle elle a été admise en bourse et pour la gestion -considérée comme opaque- de ses finances. Sur ce point, la justice tranchera.

Et quand bien même on a accusé l’IATA d’avoir exclu la compagnie du BSP, provoquant l’arrêt de ses vols, il pourrait s’avérer toutefois qu’il ne s’agisse que d’un prétexte grossier. En réalité, il semblerait que Mohamed Frikha, ayant eu vent d’une saisie imminente de ses deux Airbus A.319 sur l’aéroport parisien de Roissy, obtenue par ses créanciers français, a tout fait pour mettre à l’abri ses appareils à l’aéroport de Sfax-Thyna (où ils se trouvent à la date de la rédaction de ces lignes). Mais la solution est de toute évidence provisoire car les créanciers, tant tunisiens qu’étrangers, sont formellement décidés à récupérer leur dû. Pour l’instant, Syphax a été placée sous la fameuse loi 95-34 des entreprises en difficultés relevant du ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, ce qui la met à l’abri des poursuites. Provisoirement.

Le patron de la compagnie aérienne est, lui aussi, protégé par son immunité parlementaire, sauf que celle-ci n’est également pas éternelle. Ce qui est sûr, c’est que Frikha ne doit pas dormir sur ses deux oreilles tous les soirs.

Hédi HAMDI

Lire le portrait déjà consacré à Mohamed Frikha en 2011

Mohamed Frikha : un pari fou ou bien calculé ?
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