Hamadi Chérif : Djerba se souviendra de son sourire
13 février 2014Hamadi Chérif nous a quittés lundi 11 février 2014, mort comme il a vécu en toute discrétion. Il avait 67 ans. Enfant de Sidi Bou Saïd, des études au lycée de Carthage, éveillé à la vie, ouvert au monde, il part en Suisse pour étudier l’histoire de l’art ; féru de nouveautés, il est pris en charge par les grands collectionneurs. Il affinera ses études à l’Ecole du Louvre à Paris. De retour en Suisse, il s’installe à Lausanne : une galerie, une clientèle de choix, des collectionneurs, des amitiés, il se fait un nom et devient le marchand de peintres célèbres. Léonor Fini fait partie de son écurie ; il achète, vend des Picasso, des Pascin, des Braque, les surréalistes, Magritte, Max Ernst. Il est au sommet et fréquente tout ce qui compte dans le gotha des arts mondiaux. Nombreux voyages, l’art européen commence à décliner au profit de l’Amérique ; on le retrouve aux Etats-Unis où il fréquente de grands collectionneurs. Retour en Europe, voyages fréquents, Paris, Stockholm, Vienne, Bruxelles, Amsterdam, etc. Il tisse des fils avec les marchands du Moyen-Orient, ouvre une galerie à Beyrouth ; des clients du Golfe, nouvellement acquis à l’art.
En 1979, retour à Tunis où il transforme la maison familiale à Sidi Bou Saïd en galerie. Parmi ses premiers exposants, des artistes confirmés tel Mahmoud Sehili et de nouveaux venus sur la scène. Sa galerie devient un lieu de rendez-vous prisé : artistes, journalistes, amateurs, critiques, écrivains, collectionneurs… bref, son espace devient une agora incontournable de la vie intellectuelle. Le succès. On ne pourra pas aligner la liste des artistes découverts par Hamadi, il nous faudrait un annuaire téléphonique. Mais citons tout de même son attachement à la liberté. Pendant les années de plomb, quand les artistes algériens étaient menacés, quelques-uns parmi-eux et pas des moindres se sont réfugiés en Tunisie, évidemment sans ressources. Hamadi les a encouragés, les a aidés, leur a acheté du matériel. Au final, des expositions, du succès et l’espoir à l’horizon. Beaucoup de plasticiens marocains aussi ont exposé chez lui. Ses choix ? Essentiellement de l’art moderne. Une école ? Sur ce chapitre, Ice n’était pas une mécanique intellectuelle, c’était un sensuel, un intuitif qui fonctionnait au pif, et quel pif il possédait ! Son œil, nourri par l’expérience du métier, la lecture, les centaines de participations aux ventes, les contacts, lui permettaient de séparer le bon grain de l’ivraie. Exemples ? Dans les années 80, des artistes, encore inconnus au bataillon, qu’il a lancés, leur côte sans valeur estimée a grimpé à des hauteurs inestimables. Beaucoup d’entre-eux se reconnaîtront. Il faut ajouter que Hamadi avait le don de bien s’entourer : à chaque vernissage, les critiques, les journalistes, les amateurs et collectionneurs, tunisiens et étrangers se bousculaient au portillon de Cherif Fine Art, cocktails, discussions et débat au menu. Hamadi Chérif ou l’homme multiculturel.
A la conquête de Djerba
On le croyait installé, stabilisé, tranquille à Sidi Bou Saïd. On se trompait sur son compte ; l’homme était en transit permanent, il avait d’autres rêves, une autre ambition. Vivre et finir à Djerba. Il achète un terrain, loin de la zone touristique, loin de la foule moutonnière, à Sidi Jmour, un endroit encore vierge, pas loin d’une mer rocheuse, algueuse. Il y construit un centre d’art et de culture qu’il nommera Dar Chérif.
Architecture traditionnelle de Djerba, murs blancs chaulé, lignes épurées, arcs et terrasse qui ouvrent sur des champs d’oliviers, de figuiers et un coucher de soleil unique. Des chambres d’hôte, simples mais luxueuses ; les murs sont garnis de tableaux de goût (fatalement). Le centre comprend une salle polyvalente, des ateliers, un patio de spectacles en plein air et l’essentiel, c’est-à -dire une âme.
2010. Ouverture en grandes pompes, une exposition Paris-Tunis, des invités connus dans le monde de l’art, étrangers et tunisiens, des ministres, des amis, des sommités intellectuelles. Succès et larmes de joie. Les œuvres de haute valeur : on y voit des Picasso, des Fujita, des Modigliani, des Léonor Fini, des Max Ernst, des Zoubeir Turki, des Hédi Turki, des Yahia, des Sehili, des Mifsud, bref, un trésor. La presse nationale et internationale ne tarit pas d’éloge. Le sommet est atteint. Suivent des expositions de groupe, des concerts de musique classique, du jazz, de la danse.
Années post révolution. Alors que tant de promoteurs ont baissé les bras, l’optimisme en bandoulière, Hamadi ignorait la crise, il continuait à organiser des concerts, des expositions, il donnait un souffle de vie à Djerba, une île qui se souviendra de son sourire.
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